Billy Hart ou le « solo du batteur » à La Petite-Pierre

Le batteur du groupe The Cookers a donné un concert mémorable au festival Au Grès du jazz dans le Bas-Rhin, vendredi 15 août 2014.

 

Par Francis Marmande Publié le 18 août 2014 - Le Monde

 

Vu du profane, le « solo du batteur » reste un marqueur parfait : tunnel qui met les nerfs à vif, ou point exquis d'une jouissance enfantine. Vu des batteurs, musique pure ou numéro de cirque, parfois les deux ensemble. Vu de tous, gymnastique imbittable, ou gloire des divinités… Comme l'étreinte amoureuse, en somme. Billy Hart (Washington, 1940), batteur du groupe The Cookers, vendredi 15 août à La Petite-Pierre (Bas-Rhin), mettra tout le monde d’accord.

 

The Cookers, c'est un groupe de musiciens hors classe que l'Histoire et celle des festivals de jazz sont en passe d'oublier. Il doit son nom à un enregistrement fameux des trompettistes Freddie Hubbard et Lee Morgan (avril 1965).

 

Le festival de La Petite-Pierre, dans une commune de 624 Parva-Pétriciens, n'a pas froid aux ballons d'Alsace. Programme de luxe, grands noms, musiques du monde, variété chic et talents émergents, prix raisonnables, 75 % de la recette assurée par la billetterie, concerts gratuits, le festival mené de main de maître par Guy Hergott et son équipe, inscrit donc The Cookers. L'équipe connaît le jazz et ne craint pas le risque.

 

En scène, un septet porté par des arrangements efficaces, sur une idée du trompettiste new yorkais David Weiss qui n'en manque pas. Les plus anciens ont constitué l'avant-garde des années 1970 et 80.

 

LE PLUS PETIT DES GRANDS FESTIVALS OU LE PLUS GRAND DES PETITS FESTIVALS

 

Section de cuivres : Billy Harper, élégance, son énorme (ténor sax), Eddie Henderson (trompette, comme David Weiss, le rassembleur), Jaleel Shaw, alto sax aux manières de fonceur. Plus une rythmique à rendre un hanneton amoureux : George Cables (piano), Cecil Mc Bee (contrebasse), Billy Hart (batterie). Sept filières de rencontres, 300 albums à eux tous, cinquante ans d'histoire active. Enchaînant des compos de Billy Harper (Capra Black), Cecil McBee et George Cables (Farewell, Mulgrew), le concert, décolle avec cette puissante placidité des fusées spatiales. Puis, quitte assez vite l'attraction terrestre sous l'impulsion de Billy Hart, le batteur.

Billy Hart est de ces batteurs qui jouent la pièce, tout le concert, ponctuations et rythmes croisés, dans ses moindres intonations. Mais la question n'est pas là. La question, c'est le solo, sur le dernier thème, The Cora, de Freddie Hubbard. Le « solo du batteur » ? Sa mathématique échappe. Sa construction reste aussi peu repérable que la splendeur du Parthénon à une mouche hellène. On sent bien qu'il y a un secret, mais lequel ? Billy Hart lève le secret. Cecil McBee (Tulsa, 1935), le moins connu des grands contrebassistes, se rapproche de la batterie, juste pour voir. Il vient de donner un superbe chorus sur une de ses compositions, Slippin' and Slidin'. Il observe à la loupe Billy Hart qu'il connaît par cœur. Il sourit.

 

 

Juste pour ce sourire, « Au Grès du jazz », le festival de La Petite-Pierre en Alsace, reste le plus petit des grands festivals ou le plus grand des petits festivals. Au choix.