Manouches et magies au festival de La Petite-Pierre

Belle affiche pour la 11e édition du rendez-vous musical estival du village alsacien, qui dure jusqu'au 18 août.

 

Par Francis Marmande Publié le 14 août 2013 Le Monde

Quand, Yorgui Loeffler dégaine sa guitare – une Anastasio vintage –, à La Petite-Pierre, il joue à domicile. Chris Reinhardt (contrebasse) complète son quartet composé de Billy Weiss et Gigi Loeffler (guitares de catégorie) et Franck Wolf (précieux sax ténor et soprano). Cinq représentants de l'importante communauté manouche d'Alsace.

Tout y passe, des créations si fraîches qu'elles n'ont pas encore de titre, des standards, Les Yeux noirs, Nuages, et au huitième rappel, Sweet Georgia Brown enlevé sur un tempo d'enfer. Un raffinement, une rythmique et une joie de jouer, ici, en Alsace, particulièrement appréciés. Avec en guest-star, Magnio, fils et neveu des Loeffler, 11 ans. Ses pieds touchent à peine par terre. Sa "pompe" est impeccable. Tous, Biréli Lagrène en tête, venu souvent en voisin, ont commencé ainsi.

Yorgui Loeffler s'est très tôt signalé. Son jeu allègre, ses compositions originales, la confiance de ses guitaristes, la délicatesse de Franck Wolf, tout concourt.

 

Comme sa voisine, Fénétrange, La Petite-Pierre (623 habitants) a le chic pour mettre en avant son côté "bout du monde", calme et modestie.

"Sur zone", comme disent les gendarmes, une magnifique hôtellerie, un sens de l'hospitalité, des paysages à peindre et ce côté bout du monde qui fouette l'imagination. Le festival de La Petite-Pierre tient à ses jauges modestes et à son perfectionnisme, on ne l'en blâmera pas, ce qui ne l'empêche pas d'aligner, pour sa 11e édition, Joshua Redman, Ron Carter, Taj Mahal, Omar Sosa, Yorgui Loeffler, ou encore Edouard Ferlet au Musée Lalique. Coproduction avec le festival de Fénétrange.

 

Dans le genre bout du monde, le Musée Lalique tient le pompon. Niché dans la forêt de Wingen-sur-Moder, son auditorium d'aussi belle acoustique qu'un ventre d'Anastasio jouxte force verres, calices et cabochons, insectes d'argent aux sourcils menaçants, bijoux mi-femmes nues, mi-papillon...

C'est dans cet écrin que joue Edouard Ferlet (le 12 août), pianiste de formation classique, diplômé du Berklee College of Music, couvert de récompenses, grand évadé des chemins étroits, notamment en compagnie de Mark Murphy, Lambert Wilson, Julia Migenes et Nancy Huston.

Son dernier album, brillant et salué, Think Bach, il le décline au Musée Lalique à la façon d'une suite concertée. Au quatrième rappel, il reprend, détail rare, un long motif de Keith Jarrett moins connu que le Köhln Concert enregistré à Bremen. Edouard Ferlet fait sonner le Bremen Concert avec vigueur. La puissance du piano et sa main gauche implacable le lui permettent.

S'agissant des "variations de variations" à partir de Bach, rien à dire. Parfois, on entend énormément de doigts, mais la démarche reste toujours intelligente. Cantates, Prélude en ré mineur reformulé Analecta, Choral transparent intitulé Que ma tristesse demeure, Diagonale aux instants subtils sur une version discutable des Variations Goldberg, tout retient ou déborde, ici ou là, fait regretter les "arabesques foisonnantes de vie" de Lalique, mais ce n'est pas l'idée. Ferlet est né en 1971, l'année du premier solo de Keith Jarrett (Facing You).

 

Les Manouches sont nés voici dix mille ans. La Petite-Pierre, sa perfection, son attention au son, aux détails, les célèbre avec autant de soin. Les "after" sont accueillis par La Clairière ou l'Hôtel du Lion d'or : à l'heure où vous lisez ces lignes, Youri et Gigi Loeffler et leur cohorte doivent avoir encore dix mille chansons d'amour à célébrer en swing. Leur générosité répond à celle de La Petite-Pierre.

 

Festival de jazz de La Petite-Pierre, jusqu'au dimanche 18 août 2013. Trilok Gurtu (le 15), Manu Katché (16), Ron Carter Trio (17), Omar Sosa, Ablaye Sissoko (18). 

Think Bach, d'Edouard Ferlet, 1 CD Mélisse prod. ; Bol d'air, Franck Wolf Trio (avec Marcel Loeffler et Davide Petrocca), 1 CD WM.

 

Francis Marmande